© Zach Lucero/Unsplash

Témoignage: “J’ai fait un bébé en psychiatrie”

Céline souffre de troubles bipolaires. Son compagnon est schizophrène. Tous deux ont longtemps séjourné en hôpital psychiatrique. Malgré l’avis défavorable des médecins, ils ont décidé d’avoir un enfant. Le petit Tom a aujourd’hui 7 ans…

“Nous formons une famille pas tout à fait comme les autres… Notre petit Tom a 7 ans, et il est en pleine forme. Moi, sa maman, je suis bipolaire. Quant à Jo, son papa, il souffre de schizophrénie. Ce sont des maladies mal connues, que l’on a vite fait d’assimiler à la folie. Je le sais, je le sens dans le regard des gens. C’est vrai que nous ne sommes pas dans la norme. Mais cet enfant, je l’ai vraiment désiré et je l’ai chéri dès qu’il a été dans mon ventre.

Un sac de papates

J’ai été diagnostiquée bipolaire à la fin de mes études universitaires. J’avais 23 ans. La bipolarité, c’est un trouble de l’humeur. Toutes les émotions sont exacerbées. Quand on est triste, on est complètement effondré. Et lorsqu’on est heureux, on devient euphorique. Autrefois, on parlait de ‘troubles maniaco-dépressifs’. Ma mère et ma grand-mère en ont souffert. J’avais donc des prédispositions génétiques. À cela sont venus s’ajouter les traumas de l’enfance. J’ai passé mes 9 premières années en Afrique, puis mes parents ont décidé de rentrer en Belgique et de divorcer. Du jour au lendemain. C’était impensable et insupportable pour la petite fille que j’étais. Mais ils n’y ont pas pris garde. Ils m’ont déplacée comme un sac de patates, et les patates en ont pris un sacré coup…

J’ai mis longtemps à comprendre ma maladie. Entre 23 et 32 ans, j’ai fait huit séjours en hôpital psychiatrique. À chaque fois, contrainte et forcée. Colloquée. Soit à la demande de médecins, soit à la demande de ma famille. Mes parents m’ont fait enfermer contre ma volonté. C’est difficile à accepter, mais je sais qu’ils n’avaient pas d’autre choix. Il fallait trouver le traitement adéquat pour réguler mes humeurs. Il existe des médicaments, mais il a fallu près de dix ans avant que les médecins trouvent le dosage qui me convienne…

Projet de grossesse

C’est dans ces années-là que j’ai rencontré le papa de Tom. Jo était lui aussi dans le circuit psychiatrique. Il était interné dans une maison de soins voisine de la mienne. On se croisait à l’heure de la promenade. Jo est schizophrène. Il a parfois des discours complètement détachés de la réalité. La schizophrénie est une maladie qui fait souvent peur, moi je trouve ça plutôt poétique. Jo est la personne la plus douce que j’aie jamais rencontrée. Il n’est dangereux ni pour les autres ni pour lui-même. Il est joyeux et toujours positif. J’aime sa différence.

Lorsqu’on s’est mis ensemble, tout le monde a vu cela d’un très mauvais œil. Le corps médical comme nos proches. À leurs yeux, nous n’étions pas Céline et Jo, nous étions deux pathologies graves. Ce qu’ils craignaient par-dessus tout, c’est qu’un enfant naisse de notre union. Déjà que les gens ‘normaux’ ont du mal à gérer l’arrivée d’un bébé, alors deux malades psychiatriques… vous imaginez! C’est moi qui ai lancé l’idée de faire un bébé.

J’avais 32 ans et, mon traitement étant enfin au point, ma maladie était stabilisée. Celle de Jo ne l’était pas et elle ne le serait peut-être jamais, j’en étais bien consciente, mais je l’aimais très fort. Quand je lui ai proposé d’arrêter la pilule, il a été tout de suite d’accord. Je ne voulais en parler à personne d’autre, pour que personne ne vienne entraver notre projet. Je n’ai averti mes parents que lorsque ma grossesse a été bien avancée. Par contre, j’ai dû informer ma psychiatre. Il fallait qu’elle adapte mes traitements avant que je conçoive un enfant. Elle m’a fait de grands yeux, puis elle m’a parlé des risques pour le bébé. Elle m’a donné des chiffres qui font froid dans le dos. Mais elle n’a pas réussi à me dissuader.

Des vampires et des fantômes

À la sortie de la maternité, on m’a ‘suggéré’ de passer trois semaines avec mon bébé en hôpital psychiatrique. Pour apprendre à m’occuper de lui, pour éviter le baby blues, et pour reprendre le traitement que j’avais interrompu le temps de la grossesse. Moi, j’avais juste envie de rentrer à la maison avec mon fils. Comme toutes les mamans. Je n’avais vraiment aucune envie d’aller dans cette institution. C’était affreux. D’autant qu’il n’y avait pas d’infrastructure spécifique pour les bébés. J’étais parmi les malades psychiatriques avec mon petit Tom. Et puis, je craignais la suite. Et s’ils me gardaient ? Dans ce genre d’endroit, on sait quand on entre, jamais quand on sort… Ce fut une période horrible.

Heureusement, au bout de trois semaines, j’étais à la maison avec Tom et Jo. Cette fois, on était vraiment une famille! Bien sûr, la maladie était toujours là. La mienne était pratiquement invisible grâce aux médicaments. Mais j’avais parfois du mal à émerger le matin, tant le traitement était fort. Peu importe. Je me suis toujours levée pour mon fils. Pour le nourrir, pour le soigner, pour le conduire à la crèche puis à l’école. La maladie de Jo était plus compliquée à gérer. Il lui arrivait souvent d’avoir des hallucinations ou de partir dans des délires. Il nous parlait de vampires, de fantômes, de Dieu et du Saint-Esprit. À un moment, je n’ai plus pu le supporter. C’est triste, je l’adorais, mais la maladie a gagné. Nous nous sommes séparés lorsque Tom avait 3 ans. Vivre en couple était devenu impossible, mais nous restons une famille pour toujours. Jo continue de voir son fils deux ou trois fois par semaine et il s’en occupe très bien.

Un cadeau de la vie

À 7 ans, Tom ne se rend pas encore compte que nous sommes des parents différents. Nous ne l’avons pas élevé en lui disant que nous sommes malades. Nous sommes d’abord son papa et sa maman. On lui explique les choses au fur et à mesure qu’il peut les comprendre…

L’an dernier, j’ai fait une rechute. La maladie était tellement bien stabilisée qu’elle semblait avoir disparu. Je n’avais plus été hospitalisée depuis 8 ans. Je me suis dit: et si les médecins s’étaient trompés  Et si je n’étais pas bipolaire? J’en ai parlé à mon psychiatre, qui m’a proposé de diminuer mes médicaments par paliers. Je me sentais tellement bien que j’ai arrêté totalement le traitement sans rien lui dire. Résultat: au bout de trois mois, la maladie a repris le dessus. Je ne m’en suis pas rendu compte moi-même. C’est une amie qui, me voyant agitée, a pris contact avec le psychiatre. Puis la police a débarqué et je me suis réveillée à l’hôpital. Quand j’ai vu les médicaments sur la facture, j’ai compris qu’ils n’avaient pas lésiné sur la dose pour m’assommer!

Je suis restée quatre mois en unité fermée. Le temps de remettre le traitement en place. Tom n’est venu me voir que quelques fois, et c’est bien comme ça, parce qu’un hôpital psychiatrique n’est pas un lieu pour les enfants. Je regrette qu’il ait assisté à l’intervention musclée de la police à la maison. Heureusement, ma mère a pu l’héberger et Jo passait le voir régulièrement. Tom sait maintenant que sa maman est malade. Mais je me suis promis que plus jamais nous ne revivrions cela.

C’est bien clair: je suis bipolaire et je ne peux pas me passer d’une seule de mes pilules. Mon petit Tom est né dans une famille un peu différente de celle de ses copains, mais je suis une maman responsable! Cet enfant est le plus beau cadeau que m’ait fait la vie, je ferai tout mon possible pour qu’il soit équilibré et heureux.”

Texte: Christine Masuy | Coordination: Stéphanie Ciardiello

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