© Irina Murza/Unsplash

Témoignage: “Mon fils souffre du SAF, le syndrome d’alcoolisation fœtale”

L'alcool pendant la grossesse fait des ravages. Louise peut en témoigner: son fils souffre du SAF, le syndrome d'alcoolisation fœtale. L'alcool consommé par la mère enceinte a impacté pour toujours le développement du petit Marius…

“Dans mon cœur de maman, je ne fais aucune différence entre mes enfants. Peu importe qu’Angèle ait grandi dans mon ventre et que son frère ait été adopté. Lorsque je parle de Marius, je ne dis pas que c’est mon fils adoptif. C’est mon fils, point barre. Pourtant, je me suis rendu compte qu’il m’arrive de le préciser… lorsqu’il est question du SAF, le syndrome d’alcoolisation fœtale. Marius en souffre. Et c’est affreux mais j’ai peur du regard des gens. Peur de ce qu’ils peuvent penser. Peur qu’ils s’imaginent que j’ai bu pendant ma grossesse, et que tout est ma faute…

Des dégénérés

Je suis devenue maman à 40 ans. Après la naissance d’Angèle, lorsqu’on a eu envie d’un petit deuxième, on s’est dit que ce serait chouette de l’adopter. On a fait toutes les démarches, rempli des tas de papiers. Je me souviens très bien du jour où on nous a demandé si nous étions prêts à accueillir un enfant ‘à besoins spécifiques’. Comprenez un enfant malade ou handicapé. Avec mon mari, on y avait réfléchi. Notre fille était née avec une malformation, on venait de passer un an dans les hôpitaux, et on n’avait aucune envie de revivre cela. Mais lorsqu’on adopte un enfant, on sait que le risque zéro n’existe pas…

Pour ma part, j’avais deux craintes. Je craignais d’abord les troubles de l’attachement, dont on parle souvent dans les dossiers d’adoption. Et puis, j’avais peur que la mère soit alcoolique et que le bébé en ait subi les effets. Quand j’étais petite, j’habitais un village où vivaient plusieurs familles d’alcooliques. Ma grand-mère disait: ‘Regarde ces pauvres petits! Des dégénérés! C’est l’alcool qui leur a fait ça! Les parents boivent, les enfants trinquent!’ Ça m’a marquée. Je n’ai pas bu une goutte d’alcool pendant que j’attendais ma fille. Et j’y ai beaucoup pensé au moment d’adopter. Je ne voulais pas un enfant venu d’un pays de l’Est. J’avais des préjugés sur la Pologne, la Russie… Quand on nous a proposé la Thaïlande, j’étais ravie. Nous y avions passé des vacances, le pays nous était sympathique. Et puis, les Asiatiques ne boivent pas – c’est bien connu!

Tout petit

Marius avait 2 ans et demi. On ne sait pas grand-chose de son histoire: il a été abandonné dans un parc public, puis recueilli dans un orphelinat. C’est là que nous sommes allés le chercher. Il était beau mais il était petit. Tout petit. C’est la première chose qui m’a frappée. Je me suis dit qu’il n’avait sans doute pas toujours mangé à sa faim… Ce n’était pas grave, on allait le requinquer! On a passé la journée ensemble à l’orphelinat. On a joué, il a ri aux éclats. Très vite, il a dit ‘papa’ et ‘maman’. La question des troubles de l’attachement était réglée: Marius nous avait adoptés. Dans les semaines et les mois qui ont suivi, tout a été simple. Bien plus simple qu’avec notre aînée!

C’est en deuxième maternelle que les problèmes ont commencé. Nous étions sans cesse interpellés par l’institutrice: ‘Marius ne sait pas faire ci, pas faire ça. Il ne connait pas le nom des couleurs, il ne sait pas compter jusqu’à 5. Il est en retard.’ Mais chaque fois, le retard se comblait au bout de quelques mois. Fallait-il s’inquiéter pour cela? En première primaire, il a pris plus de temps que les autres à apprendre à lire mais là encore, il a réussi à rattraper le groupe. C’est en deuxième que les choses se sont vraiment gâtées. Nous avons été convoqués à l’école comme devant un tribunal. Notre fils était un incapable! Et nous étions responsables! On a consulté plusieurs spécialistes qui nous ont parlé de dyspraxie, dysgraphie, dyscalculie… Marius avait des difficultés d’apprentissage, il faudrait faire avec.

Un sujet tabou

Quelque temps après, je suis tombée par hasard sur un article qui évoquait l’alcoolisme des femmes en Thaïlande. Les chiffres étaient catastrophiques, surtout dans la région rurale d’où vient mon fils. Et là, tout s’est éclairé. Mon Dieu, c’était donc cela! J’ai commencé à me renseigner quant aux effets de l’alcool sur le fœtus. J’ai découvert le SAF, le syndrome d’alcoolisation fœtale et toutes ses conséquences pour l’enfant. Les malformations physiques, les problèmes de croissance, mais aussi de nombreux problèmes de comportement et d’apprentissage.

Marius ne présente pas tous les signes du SAF, mais il en a un nombre certain. On a vu des tas de médecins: pédiatres, neurologues, neuro-pédiatres, endocrinologues, généticiens… Aucun ne veut poser un diagnostic définitif. On me dit que ce serait plus clair si on avait le dossier de la mère. Mais ça, je ne l’ai pas! Après, je pense qu’il y a une espèce de tabou autour du SAF. Certains préfèrent ne pas voir. Un jour que je consultais une psy, elle me raconte qu’elle aussi a adopté une petite fille en Thaïlande. Elle me montre sa photo en me disant : ‘Regardez, c’est dingue, on dirait la sœur de Marius !’ Je n’en revenais pas. C’est comme si on disait de deux enfants trisomiques qu’ils sont frère et sœur parce qu’ils ont des traits communs. Non, Marius et cette petite ne sont pas frère et sœur, ils ont un visage typique du SAF! Mais cette psy ne voulait pas le voir, elle a préféré expliquer les problèmes de Marius par des troubles de l’attachement…

Les mamans stigmatisées

J’ai renoncé à obtenir un diagnostic. Peu m’importe. Ce qui compte pour moi, c’est que mon fils soit bien. Je me suis beaucoup battue avec l’école. Un enfant différent, ça dérange. On le poussait vers la sortie, on me conseillait de le mettre dans l’enseignement spécialisé. Pas question! Marius a des problèmes d’apprentissage mais il est intelligent, il parle très bien, il lit beaucoup… À la fin de la cinquième primaire, l’établissement m’a prévenue qu’il n’inscrirait pas mon fils en secondaire. Qu’allais-je faire? J’ai finalement trouvé une petite école qui a accepté de le prendre un jour à l’essai. Les enseignants ont trouvé qu’il avait le niveau, qu’il se comportait normalement, qu’il n’y avait aucun problème particulier.

Aujourd’hui, Marius a 13 ans, il est en première secondaire bilingue français-anglais, et on a trouvé divers aménagements qui lui conviennent. Par exemple, il ne prend pas note à la main mais sur un iPad. J’espère qu’il va pouvoir poursuivre sa scolarité et s’épanouir. Il rêve de travailler dans les jeux vidéo, et je crois qu’il en sera capable. C’est un chouette garçon. Je suis très heureuse de l’avoir adopté. Ma vie ne serait pas aussi riche s’il n’était pas là. Je suis désolée qu’il soit de petite taille et qu’il ait ces troubles de l’apprentissage. Mais je suis désolée pour lui, pas pour moi.

Je témoigne pour que cela n’arrive plus à d’autres. Et parce que je suis une maman adoptive. Les autres mamans concernées n’osent pas parler. Elles sont stigmatisées. Pourtant, ce ne sont pas toujours des alcooliques irresponsables. Certaines jeunes femmes ont fait la fête pendant les premiers mois de leur grossesse sans savoir qu’elles étaient enceintes…”

Les prénoms ont été modifiés – Texte: Christine Masuy/Coordination: Stéphanie Ciardiello

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